"Je ne pouvais pas l'accepter": pendant des années, la plus large défaite de l'histoire de la Coupe du monde de football a hanté la gardienne thaïlandaise Sukanya Chor Charoenying, humiliée par les Etats-Unis (13-0) en 2019.

"Je refusais de revoir des extraits de ce match, je n'en parlais pas à ma famille... Aujourd'hui, on en rigole tous", assure auprès de l'AFP l'ancienne joueuse, âgée de 36 ans.

Bangkok accueille vendredi le congrès annuel de la Fifa, qui doit désigner le ou les pays en charge de l'organisation du Mondial féminin en 2027.

Cette compétition ranime un épisode douloureux pour le royaume d'Asie du Sud-Est, lors de l'une de ses rares apparitions au plus haut niveau.

Le 11 juin 2019, à Reims, les Thaïlandaises ont intégré à leurs dépens les livres d'histoire, en encaissant treize buts lors d'un match de la phase finale de la Coupe du monde -- un record, femmes et hommes confondus, qui devrait tenir longtemps.

Le résultat du match amical perdu deux semaines plus tôt contre la France (3-0) n'avait pas laissé entrevoir l'ampleur du désastre qui allait suivre.

Impuissante face aux stars américaines qui finiront par remporter le tournoi, Sukanya Chor Charoenying a pleuré du coup de sifflet final jusqu'à sa chambre d'hôtel, se souvient-elle.

"Je savais que tout le monde me regardait à la maison. Mon père, ma mère, tous les Thaïlandais attendaient ce jour. Les décevoir m'a déchiré le coeur", lâche-t-elle.

"Prise de conscience"

Sur les réseaux sociaux, les internautes se moquent de sa taille (1,65 m) ou de sa technique.

Les commentateurs et fans s'en prennent aussi aux Américaines, accusées d'avoir manqué de fair-play avec leurs célébrations jugées trop ostentatoires après chaque but.

Les femmes ont plus de chances que leurs homologues masculins d'être ciblées par des messages de haine en ligne, a révélé un rapport du syndicat mondial des joueurs (Fifpro), sur la base des données du Mondial-2023. 

"En continuant à jouer à fond, les Américaines ont agi comme des professionnelles", défend la capitaine thaïlandaise Kanjana Sungngoen. "Si elles y étaient allés mollo avec nous, ça aurait encore plus irrespectueux."

Après l'humiliation, le choc a laissé la place au questionnement.

"Ca a été une prise de conscience pour repenser l'équipe (...) A l'époque, être footballeuse professionnelle, ce n'était pas une carrière", poursuit l'attaquante, 37 ans, qui joue dans un club de Bangkok.

Les "Chaba Kaew" (surnom affectif attribué aux éléphantes) marchent dans l'ombre des "Elephants de guerre", la sélection masculine, en dépit de deux participations en Coupe de monde (2015, 2019), contre aucune pour les hommes.

Faute de suffisamment de clubs, la saison de première division féminine ne dure que quelques semaines à peine. Le championnat local développe son image sur les réseaux sociaux, mais reste disputé dans des infrastructures défaillantes.

Objectif 2027

"Il faut faire plus de promotion. Beaucoup de gens ne connaissent pas le foot féminin, et il y a moins de joueuses femmes que d'hommes", estime la sélectionneuse de 2019, Nuengrutai Srathongvian.

La nouvelle présidente de la Fédération nationale, Nualphan Lamsam, première femme à occuper le poste, a fixé l'objectif de se qualifier pour le Mondial-2027.

Au début de sa carrière, la gardienne Sukanya Chor Charoenying apprenait sa sélection en lisant le journal, sourit-elle.

Aujourd'hui, l'héroïne malheureuse du 11 juin, retraitée des terrains, enseigne le sport à des étudiants d'une université de Bangkok. 

Après des années de déni, l'ancienne gardienne assure puiser son énergie de la défaite.

Les mots de consolation de ses adversaires Christen Press et Carli Lloyd, après la rencontre, continuent de l'"inspirer", affirme-t-elle.

"Je me suis dit: +si je ne peux pas gagner aujourd'hui, je dois revenir sur le terrain, et entraîner les talents dont nous avons besoin", développe-t-elle.

La fierté d'avoir évolué parmi les meilleures du monde a fini par prendre le dessus: "le football féminin thaïlandais va aller loin", promet-elle.